M. Caillat u.a. (éds.): Histoire(s) de l’anticommunisme en Suisse

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Titel
Histoire(s) de l’anticommunisme en Suisse / Geschichte(n) des Antikommunismus in der Schweiz.


Herausgeber
Caillat, Michel; Cerutti, Mauro; Fayet, Jean-François; Roulin Stéphanie
Erschienen
Zürich 2009: Chronos Verlag
Anzahl Seiten
372 p.
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Halle Marianne

Retracer l’histoire de l’anticommunisme en Suisse relève en quelque sorte de la gageure. Les articles qui composent cet ouvrage collectif, presque tous issus d’un colloque organisé en 2007 à Genève, cherchent à appréhender un objet historique complexe, difficile à saisir, tant il s’est manifesté sous des formes diverses et mouvantes à travers le temps. De fait, l’anticommunisme helvétique est tout sauf un phénomène marginal: sa virulence, sa longévité, son apparition dans des cercles qui dépassent souvent la sphère strictement politique, ont contribué à en faire, du moins par moments, une véritable doctrine d’Etat, un «enjeu de civilisation».

Afin de tenter d’explorer ces différentes facettes, les contributions ont été regroupées par thèmes, suivant grosso modo une progression chronologique. Le premier d’entre eux aborde les origines du phénomène en Suisse. Alors que H.-U. Jost montre comment l’anticommunisme est progressivement devenu l’un des fondements de la culture politique helvétique, M. Vuilleumier offre une étude de trois cas cantonaux, ceux de Zurich, Vaud et Genève, autour de 1848. En effet, au milieu du 19e siècle, alors que les tensions entre Radicaux et Conservateurs sont vives, c’est déjà l’épouvantail communiste que l’on agite pour discréditer l’adversaire. Le communisme, pourtant relativement peu répandu et surtout peu mobilisé, suscite déjà le rejet de ceux qui craignent de voir le peuple mécontent s’organiser sous cette bannière-là. Accuser les Radicaux de maintenir des relations troubles avec les cercles communistes était une manière efficace de nuire à leur crédibilité. Grâce à la figure du Zurichois Eduard Attenhofer, publiciste largement soutenu par l’élite locale et virulent opposant de la gauche dans la seconde moitié du 19e siècle, M. Bürgi offre une autre illustration de l’usage du communisme en tant que repoussoir absolu.

Dans une seconde partie qui explore les temps forts et les mythes de l’anticommunisme, trois moments-clé sont analysés pour illustrer la mise en place, avec l’aide des structures étatiques, des rouages de l’appareil anticommuniste en Suisse. Les grèves et les mouvements sociaux du début du 20e siècle à Genève, examinés par Ch. Heimberg, révèlent les liens entre xénophobie et anticommunisme, l’amalgame fréquent entre revendications sociales et marxisme révolutionnaire – autant d’éléments qui contribuent à forger ces mythes anticommunistes dont la longévité trahit l’efficacité. La grève générale de 1918, qui cristallise tous ces clichés, est bien sûr l’un de ces temps forts, tant elle a marqué de façon durable les esprits et servi de point de référence majeur pour l’anticommunisme helvétique. La contribution de L. Andrey décrit comment, très rapidement, les événements sont instrumentalisés à des fins de propagande anticommuniste. A Fribourg en effet, on n’a pas hésité à faire des soldats mobilisés pour contrer les grévistes, et morts de la grippe espagnole pendant la mobilisation, des martyres de la cause! Enfin ce sont l’assassinat du diplomate soviétique Vorovsky à Lausanne et le procès qui s’en est suivi, qui sont étudiés par M. Caillat et A. Caratsch: lors de celui-ci la défense, soutenue par les plus hautes autorités suisses, livre un plaidoyer qui constitue un véritable document fondateur de la doctrine anticommuniste, et obtient l’acquittement de l’assassin Maurice Conradi.

La troisième partie scrute les réseaux, milieux, et acteurs de l’anticommunisme. Alors que S. Roulin analyse le rôle des réseaux religieux dans la diffusion des valeurs anticommunistes, les contributions d’A. Thürer et de M. Caillat présentent les deux réseaux complémentaires desquels ces valeurs émanent: la Fédération patriotique suisse (FPS), et l’Entente internationale anticommuniste (EIA). Si l’EIA, basée à Genève, joue le rôle d’une centrale idéologique réactionnaire, dont le réseau s’étend à l’étranger grâce aux contacts forgés par son fondateur Théodore Aubert, la FPS elle, devient un acteur central dans la politique suisse de l’entredeux-guerres. Ce que l’article de Thürer fait apparaître, c’est que la FPS se chargeait d’accomplir les basses oeuvres anticommunistes du Conseil fédéral, en diffusant notamment une propagande anticommuniste virulente contre l’élection de représentants de la gauche comme Grimm ou Klöti, ou encore lors de campagnes de votation.

Ces liens étroits entre les cercles anticommunistes et l’appareil étatique font justement l’objet d’une quatrième partie. Dans son article, A. Rauber met notamment le doigt sur une certaine hypocrisie, dont bénéficient les nombreuses mesures anticommunistes prises par les autorités tant fédérales que cantonales au nom de la protection de la démocratie, alors même qu’il laisse faire, voire encourage parfois, les mouvements fascistes et frontistes. Une image un peu plus nuancée se dégage par contre de l’article de S. Farré, qui replace dans le contexte fédéral les mesures anticommunistes élaborées par les autorités genevoises entre 1936 et 1945. Celles-ci, prises entre leurs convictions et une opinion publique souvent plus favorable à la gauche que dans d’autres cantons, devaient en effet naviguer de façon plus prudente: si la surveillance des milieux communistes et de leurs sympathisants demeurait étroite, les sanctions effectives étaient plus discrètes. La contribution d’A. Heiniger quant à elle, décrit le fonctionnement du Sonderlager de Bassecourt pendant la Seconde Guerre mondiale, et livre une analyse pertinente de l’idéologie qui sous-tend le traitement particulier des réfugiés communistes internés dans le camp par les autorités fédérales. Enfin l’article d’U. Tröndle s’intéresse à la réaction disproportionnée de ces mêmes autorités lors de l’emblématique cas Wolf/Kaelin, une affaire d’espionnage pendant la Guerre froide.

Les chapitres qui suivent sont plutôt des chapitres thématiques, qui explorent des aspects moins centraux de la problématique. Les articles de L. Sauge et P. Rouget – tous deux consacrés aux images anticommunistes du communisme à Genève pendant l’entre-deux-guerres – démontrent à quel point les images et les stéréotypes sont souvent plus efficaces que les mots pour véhiculer le message anticommuniste, puisqu’ils traduisent de manière immédiate les craintes irrationnelles que l’on tente de manipuler.

L’anticommunisme de gauche, qui fait également l’objet de deux articles, est l’une des manifestations moins évidentes et moins étudiées – mais non moins fondamentale – de l’anticommunisme. Tant J. Vigreux que P. Huber révèlent les mécanismes qui font que «l’on est toujours le communiste de quelqu’un». De fait, comme le montre Huber par le biais du cas bâlois, en reprenant à son compte certains aspects de la rhétorique anticommuniste, la gauche modérée cherche non seulement à discréditer ses rivaux aux yeux de la classe ouvrière, mais également à consolider sa place sur la scène politique helvétique.

Une dernière partie s’attache à décrypter les relations entre anticommunisme, antisémitisme, racisme et colonialisme. L’article de J. Batou a le mérite de disséquer et d’analyser de manière approfondie la relation étroite entre le anticommunisme et antisémitisme, un lien qui apparaît en filigrane tout au long de l’ouvrage. Son étude révèle les formes différentes revêtues par cette relation parfois contradictoire dans cinq pays européens. Le point commun entre ces cas semble être que l’anticommunisme fait appel aux clichés antisémites qui rencontrent l’écho le plus favorable dans l’opinion publique selon les circonstances spécifiques à chacun de ces pays. La contribution de W. McClellan tente quant à elle de sonder les liens entre l’anticommunisme et la question coloniale, alors que celle de S. Bott fournit une étude stimulante de l’instrumentalisation dont l’anticommunisme a fait l’objet de part et d’autre dans le cadre des relations économiques douteuses que la Suisse a entretenues avec l’Afrique du Sud sous le régime de l’Apartheid.

Si, comme dans tout ouvrage collectif, la qualité des contributions varie quelque peu, les travaux réunis dans ce volume ont le mérite de dresser un portrait varié et relativement complet de l’anticommunisme en Suisse. La force de ce dernier réside, comme le note justement J.-F. Fayet, «dans sa capacité à se fondre dans les structures et à intégrer les milieux existants». En outre, contrairement au fascisme, il cherche à «conforter l’ordre existant en s’appuyant sur les élites traditionnelles et en collaborant avec les services de l’Etat». De cette étroite imbricationnaît le sentiment qui se dégage à la lecture de cet ouvrage: celui d’un regard original posé sur l’histoire Suisse contemporaine, tant l’histoire l’anticommunisme se confond avec cette dernière.

Citation:
Marianne Halle: compte rendu de: Michel Caillat, Mauro Cerutti, Jean-François Fayet, Stéphanie Roulin (éds): Histoire(s) de l’anticommunisme en Suisse / Geschichte(n) des Antikommunismus in der Schweiz. Zurich, Chronos, 2009. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 59 Nr. 4, 2009, p. 465-467.

Redaktion
Veröffentlicht am
31.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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